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Le 30 août 2025, Dommartin a inauguré l’école primaire Bernard Clavel rénovée. Une cérémonie qui a mis en lumière l’exemplarité environnementale du projet et le caractère visionnaire du romancier.
Le samedi 30 août 2025, la commune de Dommartin a inauguré l’école primaire Bernard Clavel rénovée. La cérémonie s’est déroulée à la veille de la rentrée scolaire, sous la présidence d’Alain Thivillier, maire sans étiquette de Dommartin, en présence d’élus, de représentants de l’État, d’enseignants, et d’autres acteurs de la vie publique et associative, ainsi que de nombreux habitants, parents et enfants.
Inscrite dans le programme national Fonds Vert, cette rénovation vise à rendre l’école plus sobre en énergie, mieux adaptée aux nouvelles contraintes climatiques et capable de répondre aux défis que nous lance la planète. Elle a obtenu la note maximale de 20/20, une reconnaissance officielle qui souligne l’exemplarité de la démarche menée par la commune et ses partenaires.
Cette réalisation fait écho aux convictions écologiques de Bernard Clavel. Dès les années 1960 et jusqu’à sa disparition en 2010, ce « porteur de mondes » a alerté sur la nécessité d’un équilibre respectueux entre l’homme et la nature. Dommartin avait choisi, dès 2011, de donner son nom à l’école.
Consulter ci-dessous :
Aux côtés de Josette Pratte, présidente, trois des membres lyonnais de LireClavel :
– Thierry Baglan, vice-président de l’association (ci-contre)
– Catherine Dubien, sa compagne, pilier de l’association
– Olivier Goulay, créateur de la start-up « Elicit Plant », reconnue pour son approche innovante et durable de l’agriculture.
Dommartin, 30 août 2025
Près de 15 ans ont passé depuis le jour où je me suis trouvée ici même pour le baptême de l’Ecole Primaire Bernard Clavel – à l’initiative de Jean-Pierre Guillot – alors maire de Dommartin.
J’avais enterré Bernard Clavel un an avant.
Et, bien que fortement marquée par l’existence que nous avions menée, Bernard Clavel et moi, de 1977 à sa mort en 2010, je croyais, bêtement, que j’allais arriver à me construire une vie sans lui.
Certains de ceux qui sont ici ce matin savent à quelles extrêmes je me suis risquée pour y parvenir. Ils savent aussi que j’ai, lamentablement, échoué.
Vous m’avez invitée à prendre la parole ici, aujourd’hui.
Je m’interroge :
– Qu’est-ce que tu vas bien pouvoir leur dire ?Je suis née à Québec, en 1951. Et j’ai du sang iroquois dans le veines. C’est peu dire que je n’ai pas appartenu à ce passé que Bernard Clavel a construit à Vernaison d’abord, de 1945 à 1957, puis à Lyon de 1957 à 1964.
Parlant du Rhône, Bernard Clavel a dit : « Je lui dois non pas le désir d’écrire qui était en moi depuis mon adolescence, mais le courage d’essayer. »
C’est vrai du Rhône et de son petit peuple de pirates auquel Bernard Clavel a consacré son premier roman – Vorgine. C’est vrai aussi de cet extraordinaire microcosme lyonnais qui a accueilli, encouragé, sauvé le misérable écrivaillon Clavel :
Gabriel Chevalier – auteur de La Peur et de ClocheMerle. Joseph Jolinon – auteur du Valet de Gloire.
Jean Revery – auteur de Place des Angoisses. Alexandre Arnoux – auteur de Rhône mon fleuve. Régis Neyret – cheville ouvrière de la revue
« Résonances ».
Suzanne Michet – la première à encourager Françoise Sagan.
Marcel Rivière grand résistant, rédacteur en chef du
« Progrès » de Lyon qui publia, en feuilleton, Vorgine et qui engagea Bernard Clavel au « Progrès ».
La Radio de Lyon, où Bernard Clavel a travaillé en même temps qu’il travaillait au « Progrès » qui lui a beaucoup beaucoup appris
Le bâtonnier Perrod à qui j’ai dédié « Les Persiennes », mon second roman.
Il me faudrait citer aussi les peintres parmi lesquels Combet Descombes.
Tant d’autres personnages, médecins, industriels. De ces Lyonnais dont Bernard Clavel écrira qu’ils ont étonné le monde.
Sans tous ceux là Bernard Clavel ne serait pas devenu l’homme l’écrivain qu’il est devenu et qu’il demeure.Aujourd’hui, je sais qu’une grande partie d’entre vous – et pas seulement les enfants – n’ont jamais lu une ligne de Bernard Clavel.
Que puis-je vous dire qui vous incite à avoir suffisamment de lucidité et de courage pour affirmer ce que ce territoire et ses habitants doivent à son œuvre ?
De Vorgine à Brutus ce sont douze romans, des centaines d’articles, et combien d’autres textes d’autre nature.
Écrire une histoire c’est à la portée de tout écrivain possédant son métier. Mais écrire cette histoire en la chargeant d’un poids humain, avec tout ce qu’elle abrite de joies, de misères, de peines, de travaux, d’espérances, de bavardages ou de silences, c’est ce qui n’appartient qu’à celui qui a dépassé le talent pour être beaucoup plus.
Se glisser dans la peau de tant d’hommes, de femmes, des simples toujours, de tant d’animaux, de végétaux, de minéraux. Donner voix à ceux qui ne parlent pas. Ou si peu. Voilà ce à quoi Bernard Clavel a voué son existence. Avec une cohérence, un acharnement, sans faille.
Ainsi, dans l’histoire de la littérature française, notre littérature, je ne vois guère que Bernard Clavel, chez qui la qualité de l’homme semble avoir correspondu à la qualité de l’artiste.
Voilà, me semble-t-il, ce que Lyon et sa région, à la suite de Dommartin, devraient avoir le cœur et l’intelligence de reconnaître et d’honorer.
Josette Pratte
Jean Pierre Guillot, maire de Dommartin de 1995 à 2020
Les enfants, Madame, Monsieur
Le conseil d’école souhaite donner un nom au groupe scolaire… » C’est comme cela que Catherine Lavet, adjointe, a retranscrit la demande un soir de réunion. Il y a déjà plus d’un an… Voire deux. Je dois dire que cette idée fut loin de m’enthousiasmer.
L’école : c’est un mot fort ; un mot synonyme de vie, de foisonnement ; un mot qui inspire demain ; un mot qui sonne apprentissage citoyen… École de Dommartin, école publique de Dommartin, école primaire et maternelle de Dommartin… c’est pas mal, non ?
L’idée a cheminé et les propositions qui sont arrivées ont été rejetées car elles ne donnaient pas du sens. Et puis un jour le nom de Bernard Clavel est arrivé jusqu’en mairie.
Et là, immédiatement, j’ai ressenti, de manière instinctive, la force symbolique qu’entrainait la juxtaposition des mots, des noms : École Bernard Clavel. J’ai eu la conviction que l’on n’était pas dans une « peopolisation » de l’école, mais qu’il y avait fusion ou soufflait la liberté intelligente, les valeurs républicaines, la dignité de l’apprentissage nécessaire par la connaissance et le livre.
Ou autre chose que chacun peut imaginer, car Bernard Clavel, cet artisan des lettres, ce raconteur d’histoires…c’est à la fois l’imaginaire et la peinture des Hommes de notre enfance, ou de notre mémoire collective.Je ne veux pas ici disserter sur les lignes de force de l’œuvre de Bernard Clavel… Un des plus grands écrivains du XXe siècle. Ce n’est pas le sujet, ce serait long et fastidieux, je n’ai pas la compétence et de surcroit je m’effacerai devant Mme Clavel. Ce que je veux vous dire, c’est que cet éternel révolté, cet autodidacte exigeant sur son travail, cet humaniste errant citoyen du monde et en adéquation avec école : un lieu ouvert et non un sanctuaire, un lieu de respect de l’autre, un lieu d’espoir pour tous… Je veux le croire. N’était-il pas lui-même un enfant rêveur et peu studieux ?
Nous avons donc contacté Mme Josette Pratte Clavel pour savoir si elle était d’accord pour que l’école de Dommartin devienne l’école Bernard Clavel. Si vous êtes là, vous connaissez la réponse… Mais surtout nos échanges ont renforcé ce que j’ai appelé la force symbolique. Poser des lettres, un nom c’est bien…. mais faire vivre les forces de l’esprit c’est mieux. Mme Clavel souhaitait un lien entre le nom et la transmission, autrement dit souhaitait la mise en place d’une approche pédagogique. Car lors de nos rencontres, j’ai compris, combien Bernard Clavel savait ce qu’il devait à l’école.
Évidemment, Geneviève Froquet, Mme la directrice et l’équipe pédagogique sont si je peux être un peu vulgaire sur la même longueur d’ondes. Il est vrai que Bernard Clavel a écrit de nombreux contes, poèmes, chansons, comptines pour enfants. (De L’arbre qui chante jusqu’au commencement du monde.)
C’est la première école qui portera le nom de Bernard Clavel et nous voila donc rassemblé dans la simplicité pour partager une émotion, un projet, une culture, la notre. Oui les enfants, Bernard Clavel va vous accompagner. Que les adultes soient des passeurs de vie pour que vous soyez demain les décideurs de votre destin épris comme lui de justice et de paix.
Comme nous sommes nous aussi quelque peu insolents, nous avons choisi pour cette belle journée de porter « école Bernard Clavel » non sur le fronton du bâti mais de créer un totem plus original nous en sommes persuadés.
Je vous remercie.
Jean Pierre Guillot
30 septembre 2011
Bernard Clavel est mort le 5 octobre 2010. Nous sommes le 30 septembre 2011. Il y a un an à quelques jours près, j’ai vu une petite boîte en chêne contenant tout ce qui avait été ma vie durant trente ans, tout ce qui demeurera ma vie jusqu’à mon dernier souffle, glisser dans le silence noir de la terre. Nous avons – ceux qui étaient là dont certains sont là aujourd’hui – nous avons jeté quelques poignées de feuilles d’automne sur le cercueil et nous sommes partis. Nous l’avons laissé seul dans un cimetière qui lui ressemble, un cimetière où le ciel est porté par le meilleur de la terre : les arbres. Ces « Colonnes du Ciel » qui, pareilles à certaines églises et mieux que bien des églises prient pour nous. Oui, je l’ai laissé là bas allongé et glacé et pour l’athée que je suis il n’aurait pas d’autre vie que celle qu’il s’est taillée du 29 mai 1923 à ce petit matin du 5 octobre 2010 où il s’est éteint, sans moi, dans un hôpital de Chambéry.
En vérité Bernard Clavel ne me manque pas. Car pour moi Bernard n’est ni mort, ni vivant. Il est là constamment. Et Dieu sait s’il est exigeant !
Mais qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui il est encore plus présent ?
C’est parce que vous êtes avec moi. Et qu’il est là, lui, debout tel que je l’ai connu, quand je l’ai connu. Par la magie de cette photographie qui désormais marque l’entrée de l’école – votre école – et qui rayonne un peu sur le reste du village.
Que nous dit-elle cette photographie ?
Elle dit d’abord qu’elle est d’un grand photographe.
Car Jean-Marie Curien a su capter et fixer tout ce qu’est Bernard Clavel. Ces pieds qui foulent la terre sans hésiter, ces pieds qui déjà sont ailleurs. Ces deux poings : l’un serré sur l’effort, l’autre entrouvert dans l’espoir d’un monde meilleur. Et tout est ainsi dans cette image si forte qui, pareille au plus grands portraits des plus grands peintres, nous disent l’essentiel d’un être.
Cette photographie, le directeur artistique de la mairie a eu l’audace – l’idée formidable – de la couper en deux. Je vous parlais des pieds mais il n’y a plus qu’un pied sur le totem, qu’une main, il n’y a plus qu’une moitié d’homme. Etait-ce voulu ? Je ne crois pas. Toujours est-il : les dernières années de la vie de Bernard Clavel, elles aussi, sont là. Un homme réduit à n’être plus que la moitié de lui, condamné à n’être plus qu’un corps soumis dans un lit. « Jamais on ne pourra l’asseoir, jamais il ne tiendra sa tête. » Mais Bernard Clavel a appris : à tenir sa tête, il s’est musclé suffisamment pour qu’on puisse l’asseoir. Il lisait. Ô ! quelques lignes. Il écrivait. Certes d’une écriture méconnaissable que seule j’arrivais à déchiffrer. Mais il vivait, il pensait, il rêvait! Et je n’oublierai jamais cette femme médecin qui, alors que Bernard Clavel quittait, allongé sur une civière, l’établissement où il avait été « rééduqué » me confiait: « Nous avons beaucoup appris avec votre mari, madame.»
Que nous apprend donc Bernard Clavel?
Il nous apprend qu’il faut sans cesse lutter. Que l’on est seul. Que l’argent ni la célébrité ne sont rien. Que la liberté – dans le respect du minéral, du végétal, de l’animal, dans le respect d’autrui – que la liberté est tout. Et qu’il n’y a pas de liberté sans l’effort, la concentration, la rigueur, l’exigence, il n’y a pas de liberté sans surpassement. Il nous apprend que la vie est une grande patience. Que tout au long de cette vie s’égrèneront des petits bonheurs. Mais que la vie est faite de grands malheurs. Il nous apprend enfin ce que Bernard Clavel m’a annoncé d’une voix vigoureuse, ce sont les dernières paroles que j’ai entendues de lui :
– La vie est belle !
Bernard Clavel a quitté l’école à 14 ans. Quand vous m’avez demandé monsieur le maire une phrase à mettre au bas du totem, une phrase s’est imposée : « Je ne dois rien à l’école, je dois tout à la vie » Et j’ai pensé : « Ca ne va pas leur plaire ! » J’ai cherché. Tout ce que j’ai trouvé était de la même veine: « L’école ne m’intéresse que dans la mesure où elle fait place à la vie. » Alors j’ai réfléchi : « Monsieur le maire t’a dit : Jusqu’à maintenant nous avons préféré ne pas donner de nom à notre école plutôt que de lui en coller un qui ne voulait rien dire. Ca n’est donc pas par hasard ou par facilité qu’ils ont décidé de la baptiser, aujourd’hui, du nom de Bernard Clavel. »
« Le vrai courage, écrit Bernard Clavel, consiste à savoir dire non au pouvoir lorsque ce pouvoir nous oblige à des actes condamnables. »
« Aussi n’est pas à leurs lois que nous devons obéir mais à notre conscience. »
C’est cet homme là que vous avez eu le courage de placer à l’entrée de votre école primaire – autant dire en tête du village de Dommartin. Je vous en remercie monsieur le Maire et tous ceux – pardonnez-moi je n’ai jamais été bonne pour aligner les titres et les civilités – je remercie tous ceux qui ont participé à cette entreprise hardie.
Je pense avec gratitude à ce petit matin tragique et magnifique où j’ai trouvé Bernard Clavel allongé dans une chambre où il n’était déjà plus. Je me suis approchée de lui, je n’étais pas triste, au contraire. Car un homme qui meurt sans s’être jamais renié c’est une sorte de don du ciel qu’il vous fait avec ses seules mains d’homme. Les vrais livres sont faits à même la vie. Je vous suis reconnaissante de l’avoir compris.
Josette Pratte