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C’est la pleine saison de la distillation chez les bouilleurs de cru. La tradition se poursuit dans les villages, grâce notamment aux associations qui organisent la distillation pour les particuliers.
Certes on ne boit plus la goutte comme autrefois. Cette période de distillation rappelait des souvenirs à Bernard Clavel. Il écrit dans Les Petits bonheurs : « La goutte comme le vin jaune font partie de ce qui réchauffait un peu la vie si pénible des gens de ce temps ».
Extrait :
« De la goutte, j’ai conservé un souvenir tout imprégné de mystère. Le mystère des nuits. Car on cuisait la nuit. Je n’ai jamais su si c’était pour échapper aux rats de cave, ces employés du fisc tant redoutés des vignerons et des bouilleurs de cru.
L’alambic se trouvait chez un voisin, dans la buanderie. Et c’était impressionnant, cette chaudière surmontée de cuivre qui luisait dans la pénombre. Le feu ronflait. Les hommes besognaient dans la fumée, la vapeur et les odeurs écœurantes. Ma mère m’y conduisait pour que je puisse regarder rapidement, mais, très vite elle me ramenait à la maison où j’avais bien du mal à m’endormir.
J’imaginais des brigades de gendarmes à cheval encerclant le jardin du voisin et prenant d’assaut la buanderie pour arrêter mon père et le mener en prison. C’était à la fois terrifiant et exaltant car j’avais une telle confiance en mon père gymnaste, que je finissais toujours par l’imaginer bondissant par la fenêtre exécutant une série de saut périlleux et se retrouvant sur le cheval d’un gendarme.
Le brigadier et ses hommes étaient à ce point médusés qu’ils ne reprenaient leurs esprits que trop tard. Mon père avait disparu au bas de la rue des Écoles. »
Les Petits bonheurs, Bernard Clavel, Albin Michel, 1999.
Article publié sur la page facebook @LireClavel par Jean-Claude Barbeaux, le 14/02/2022